mardi 22 janvier 2013

Un roman richement documenté (articles, essais, discours, correspondance et interviews inédites), avec nombre de réflexions fines et pertinentes, dans lequel, certes, on ressent l'importance pour Pierre Juquin de ne rien laisser dans l'ombre, mais qui engendre  parfois, de terribles longueurs d'après moi... 
L'auteur nous livre, dans les moindres détails, jusqu'aux aspects les plus intimes, les plus sombres, de l'existence de Louis Aragon, à commencer par sa naissance, certifiée le 3 octobre 1879 (date approximative), en tant que "fils de père et de mère non dénommés". Une famille toute entière qui lui dérobe son identité, le faisant passer pour "fils d'amis décédés, et adopté" ou "enfant trouvé".
Ce petit Aragon qui a entretenu pendant 20 ans une relation frère-sœur ambiguë avec Marguerite, sa mère biologique, et qui croyait que son père était son "parrain"...comment a-t-il pu dépasser ses douleurs enfouies? 
Aragon (nous éviterons le "Louis", prénom royal, qu'il rejetait), né de l'obscurité, nous illumine pourtant magnifiquement de ses mots. Bel exemple de résilience à travers laquelle on peut aisément imaginer l'importance primordiale de la lecture et de l'écriture. L'écriture comme empreinte maternelle, puisque Marguerite, sa "mère-sœur", écrivait elle aussi.
Aragon lisait tout ce qui lui tombait sous la main et écrivait tout le temps. "Je ne me souviens pas d'un temps où je n'ai pas écrit" affirme-t-il. Avant même de connaitre son alphabet, Louis aurait dicté des textes à ses tantes qui l'encourageaient. Plus grand, il écrivait partout, "sur n'importe quoi, le papier, les murs, avec une passion violente". En écrivant, "il salissait tout, les nappes, les cabinets qu'on vient de repeindre, l'intérieur des placards. C'était infernal". Ce jeu " l'enflammait ".
Le mot "style" chez Aragon a un double sens : façon d'écrire ; façon de vivre. "La vie vaut la peine d'être vécue, si on ne se résigne pas à la bêtise bourgeoise. Avant tout mettre en accord ses actes et ses paroles. Ce n'est pas seulement ce que l'écrivain dit qui compte, mais ce qu'il fait. On appellera bientôt cela, d'un mot qu'Aragon déteste : l'engagement. Ce faisant, se tourner vers autrui. Malheur à l'intellectuel solitaire ! Il n'y a pas de place pour celui qui n'aime pas les autres humains. Contre la dureté du cœur, contre l'égoïsme de classe, Aragon en appelle à la fraternité."
L'histoire personnelle, affective d'Aragon m'a touchée profondément (un peu dommage tout de même qu'il faille tant farfouiller parmi toutes ces informations pour trouver l'homme derrière le militant communiste). Je reconnais avoir surtout été intéressée, passionnée, par les aspects humains égrenés au fil du roman, l'Aragon politique éveillant moins ma curiosité, même s'il est évident que la naissance du communiste a fait de ce poète-écrivain un militant acharné dont l'œuvre sera complètement inspirée par les actions menées.
Corps et cerveau, Aragon est en mouvement, toujours. "Aragon ne reste jamais en place. Il est intolérablement remuant, et il a besoin pour parler, pour discuter, de remuer, de marcher de long en large, et quand il arrive au bout de la pièce, de faire une pirouette [...]. Entre deux phrases on peut voir qu'il a des cheveux gris et un visage très mince. Comme son corps, très délié, très vivant, avec une vitalité, une vivacité, c'est le mot juste, qui est un peu épuisante pour tout son entourage." Joli portrait brossé par Claude Roy qui fut très proche d'Aragon.
Cet homme, instable et tourmenté, se laissera séduire par Elsa, jeune femme "cabossée par la vie", "libérée, dotée d'une culture rationaliste et raffinée, engouée des arts et passionnée de livres, aimant le théâtre, ouverte aux nouvelles cultures [...], ayant l'usage du monde et une curiosité sans limite [...] Mais elle est déracinée, nomade. Elle est sans ressources et cherche une place dans la société, la dépression la mine. C'est l'anti-femme fatale." Cette rencontre, Aragon en fera un mythe édifiant. Mais "la vie quotidienne se dérobe au mythe". 
Il n'est pas d'amour heureux... 
Dans une lettre sublime adressée à son amant, Elsa livre son désespoir et ses déceptions : "Je te reproche de vivre depuis trente-cinq ans comme si tu avais à courir pour éteindre un feu. Dans ta course, il ne faut surtout pas te déranger, ni te devancer, ni t'emboiter le pas, ni te suivre [...] il ne faut surtout pas s'aviser de faire quoique ce soit avec toi, ensemble." Elsa parle de cet homme qu'elle aime comme d'un monstre d'égoïsme qui la rend terriblement malheureuse...et si seule. Alors qu'Aragon, constamment en activité et épuisé, sombre lui aussi.
De leur amour, Aragon dira ces mots : "pour autant que j'en puisse juger, tout amour est toujours menacé. Menacé par le temps, par le mal physique, par les malentendus, par les autres, par l'évènement, l'absence, la misère. [...] Rien n'est fragile comme ce lien de l'homme et la femme. Il suffirait de si peu pour que cela se brise et qu'on meure."
Même si la lecture de ce roman très historique m'a semblé parfois ardue et manquant de légèreté, je compte bien ne pas me laisser impressionner par le tome 2 ! ;) 
Aragon disait lui-même : " la critique devrait, en matière de littérature, être une sorte de pédagogie de l'enthousiasme ". Alors enthousiasmons-nous ! :)

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